Technique d'impact
Je vais bien, c'est bon!
Au début de l’année 2025, ma médiatrice en justice réparatrice m’a demandé si je voulais témoigner au congrès pour souligner les 40 ans de la justice réparatrice à Drummondville. J’ai dit oui. J’ai pris un congé mobile tout de suite.
C’était l’occasion rêvée, pour moi, de pouvoir parler devant des gens qui s’intéressent à la justice réparatrice, mais aussi qui veulent entendre une victime parler de sa vie, son chemin de croix I guess. Une experte de sa propre vie, quelque chose du genre.
Puis, j’ai eu quelques rencontres. J’ai demandé ce que j’avais le droit de dire. J’ai dit que ma seule condition, c’était de m’enregistrer pendant que je le faisais. On m’a dit oui. J’ai dit oui aussi.
Le mois de septembre a filé comme de l’eau entre mes doigts. Puis le mois d’octobre est arrivé comme par surprise.
Entre ma nouvelle date, la visite de ma meilleure amie, mon congé, j’avais le temps de respirer mieux. Je me suis demandé deux secondes et quart si le fait que je sois heureuse allait me faire écrire un témoignage moins poignant, pis j’ai tout de suite su que j’avais pas rapport.
Vendredi dernier, je suis donc allée manger avec Raphaël. Ensuite, je suis allée voir mon petit vampire préféré (Marie Darsigny) lire des poèmes pour le festival Phénoména, puis j’ai marché vers la maison pour attendre ma date pour un sleepover.
En marchant vers ma maison, portée par ce qui s’était dit dans la soirée, j’ai eu un coup de génie pour mon témoignage.
J’allais raconter comment mon père me frappait.
J’allais demander aux gens de fermer leurs yeux.
Et j’allais juste... compter les coups.
Je suis arrivée chez moi, j’ai passé le balai rapidement, j’ai écrit mon idée pour ne pas l’oublier. Je me suis dit que j’allais travailler mon texte le samedi, après avoir vu Bb fleur au Prospero avec Olivier.
Samedi, j’ai fait ma journée. En revenant chez moi, j’ai travaillé mon texte. J’ai essayé de le dire plusieurs fois sans pleurer — ça ne marchait pas. J’ai parlé au téléphone deux heures le soir avec sirop d’érable.
Dimanche, j’ai fait la course du parc Lafontaine avec une amie pour sa fête, marché jusqu’à chez moi, fait un tour au yoga. J’ai croisé une fille que j’aime bien, qui a une histoire de victimisation aussi. J’ai trouvé c’était quoi mes messages à faire passer. J’ai relu mon texte.
Lundi, j’ai commencé à 7 h le temps de travailler jusqu’à mon lift à 15 h. J’étais fébrile. Je ne sursautais à rien. J’attendais que le temps passe. J’ai fait mon sac.
Puis mon lift est arrivé, on est parties pour Drummondville. On est arrivées, on a eu nos chambres. Chacune avait un petit panier de victuailles — c’était accueillant. J’ai envoyé une photo de ma chambre à ma date. On est allées manger avec les autres intervenants. J’étais stressée, je ne savais pas trop quoi dire pendant le souper. Les frites étaient bonnes.
J’ai rencontré une intervenante qui partage, avec passion, les mêmes visions que moi du parcours des victimes. Rien n’est fait pour nous réparer, pis ça nous coûte du temps.
Je me suis endormie en écoutant un message vocal de ma date sur les paresses de langues à répétition, vers 23 h 30, ce qui est vraiment tôt pour moi.
À 7 h, le cadran sonnait. J’ai gossé dans mon lit jusqu’à 7 h 30, descendu déjeuner, réussi à avaler deux œufs et du bacon. Douche. Maquillage. Robe.
Je suis entrée dans la salle, je me suis assise, j’ai attendu que le temps passe.
Puis c’était mon tour.
J’ai installé mon ordinateur, parti l’enregistrement sur mon ordi et sur mon cell. J’ai mis mon texte à l’écran et j’ai commencé à expliquer ce que j’allais faire.
J’allais lire mon texte (il est plus bas et réservé aux abonnées payantes, parce que c’est 15 $ par année pis quand même personnel).
J’allais lire le texte que j’ai écrit avant de faire ma rencontre en justice réparatrice.
Et celui que j’ai écrit tout de suite après.
Puis j’allais dire mes points.
Je vous laisse les deux textes ici (encore seulement dispo pour les abonnées payantes).
J’ai lu mon texte en pleurant plusieurs fois.
J’ai dû m’arrêter pour me moucher.
Je tremblais comme une feuille les sept premières minutes.
Quand j’ai fait le bout où je compte... j’ai craqué.
J’ai fait des blagues aussi, dans mes textes.
J’ai réussi à faire rire le monde — pour leur permettre de respirer un peu.
J’ai raconté qu’en tant que victime, j’ai réparation nulle part.
Si je porte plainte, je perds du précieux temps à ne pas me réparer.
Si je fais valoir mes dommages permanents, j’ai moins — parce que je suis capable de me lever le matin, faire mes affaires. Comme si les dommages étaient moins graves dans mon corps, parce qu’ils sont moins visibles.
Et la seule vraie satisfaction que j’ai eue dans ma vie, c’est de me faire regarder par un incesteur me dire qu’il avait fait ça et qu’il ne savait pas pourquoi.
Et j’ai commencé à aller mieux la seconde où j’ai compris que rien ni personne n’aurait pu prévenir ça.
J’ai eu une standing ovation (c’est cool à vivre).
Une personne m’a dit qu’elle allait s’assurer que toutes ses intervenantes arrêtent de dire aux victimes que la seule voie possible, c’est celle de la justice.
Un monsieur qui a écrit un livre sur la justice réparatrice est venu me dire que mon truc de compter, c’était le meilleur coup de la journée.
Qu’en intervention, ça a un nom : une technique d’impact.
Il m’a demandé si j’avais déjà fait des cours d’intervention. J’ai dit que j’avais étudié en animation et recherche culturelle, pis en commerce électronique.
Une femme est venue me dire qu’elle voulait que je participe à un labo, pour aider les victimes, changer les choses ensemble, parler au gouvernement, faire entendre mon message.
Pis mon message, c’est quoi ?
Qu’on n’a pas choisi, comme victime, de vivre notre victimisation.
Laissez-nous le choix du chemin de notre réparation.
Je suis vraiment fière d’avoir fait ça.
Pour la valeur artistique, mais aussi parce que comprendre qu’on peut mobiliser des gens avec ses mots, c’est fascinant.
C’est une belle façon de faire preuve d’agentivité, aussi.
Je ne sais pas si je vais rendre un jour dispo l’enregistrement du texte,
mais si jamais ça vous intéresse de lire mon témoignage,
il suit plus bas.
C’est le fun de se sentir accueillie dans une affaire comme ça —
même si ça m’a coûté plus d’énergie que moins.
Je me sens chanceuse d’avoir l’entourage que j’ai maintenant,
le care dont j’ai besoin après tout ça,
et juste du monde qui ne me voit pas juste comme une victime,
pas juste comme une affaire stricte,
mais comme une personne
qui a le droit
de vivre une vie pleine.
Texte Équi-justice
J’ai longtemps pensé à comment j’allais présenter mon histoire.
Dans ma tête, je n’ai pas l’air de ça.
Dans ma tête, je ne veux pas avoir l’air d’une victime.
Je ne veux pas avoir l’étiquette de survivante non plus.
Mon souhait le plus cher, ce serait d’être normale.
D’avoir l’air normale, de comprendre les codes de la normalité,
de savoir quoi faire quand,
d’avoir eu un guide, un mode d’emploi,
à la place d’avoir eu peur toute ma vie de faire une erreur.
Mais non, malheureusement… enfin, je veux dire heureusement,
que mon histoire n’est pas la norme.
Je m’appelle Josiane Stratis.
Je suis née un samedi de juin, en 1986.
J’ai une sœur jumelle identique, je suis née la deuxième.
Je ne sais pas si l’univers a choisi de m’aider en me donnant une sœur jumelle,
je sais que ça a tellement dérangé qu’on soit deux
qu’on nous l’a fait payer pour la majeure partie de notre vie.
Je recommence.
Je m’appelle Josiane Stratis, je suis Gémeaux,
j’ai une jumelle,
j’ai vécu de la violence qu’on dit familiale,
parce qu’elle a été faite par une personne avec qui j’ai un lien de filiation.
Je dis de la violence — je devrais dire des violences.
Quand je veux contourner le sujet,
c’est-à-dire la plupart du temps,
je dis que j’ai vécu des violences ;
toutes les sortes de violence, même la pire.
Mais ce n’est pas assez clair.




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