Je ne sais pas combien de OG me suivent ici, combien de personnes se souviennent des choses que j’ai faites dans ma vie d’avant. Je parle de petites choses connes, des initiatives que je prenais, des défis que je relatais sur Internet, avec un hashtag, un highlight, des articles.
Peut-être que c’était en 2017, peut-être en 2018, je ne me souviens pas. Il y a un début d’année dans ces années-là où j’ai fait le grand ménage de mon appartement. Il y avait une compagnie de production de cinéma qui cherchait des cossins pour un film, il fallait de tout, des ustensiles comme des vases. J’ai demandé s’ils étaient game de tout prendre ce que je donnais, ils ont dit oui, j’ai fait le ménage pièce par pièce pour enlever le plus de choses possible.
Je pense que j’avais appelé la série Jojo vide son bungalow mais je ne trouve plus de trace de ces textes-là, faut se fier à ma mémoire, la vôtre aussi.
Le temps a passé, les années aussi, les choses se sont accumulées malgré ma séparation. C’est super plate pour Seb mais on n’était pas marié et ce n’est pas lui qui a contribué à acheter les meubles et les choses, alors quand il est parti, il l’a fait avec du surplus, ses livres, pis son linge… et ses maudits jeux de société et Blu Ray. Lol.
Il y a une partie de moi qui a de la difficulté à laisser aller, tout, je dirais. Pas juste les choses, les gens, les idées, les relations, les souffrances, j’ai toujours peur de laisser aller une partie de ma personnalité que j’ai essayé tant bien que mal de reconstruire après la tempête. Quand j’étais dans le tourbillon, j’étais en mode « tout me quitte », j’étais affaiblie, je n’avais pas la force de me battre, je me suis couchée et j’ai laissé les choses aller.
Les amitiés, le linge, ma santé, les deuils, l’espoir, ma force, ma peine, je suis devenue une personne en mode survie, une épave en quête de qui elle est quand elle n’est pas dans l’œil du public et qui elle est quand elle n’est pas la fille des sites, la fille des hashtag, la fille qui sort avec Seb et qui a deux bulldogs et des nains de jardin dans son parfait petit bungalow dans le Mile-End — quelque chose qui ne se peut pas et qui pourtant existe encore — avec tous ces amis qui l’aiment.
Je garde tout, j’ai des traces de notes, j’ai des listes, des tableaux avec des dates dans des cahiers, je connais certaines dates par cœur, je me souviens de la fête de tout le monde, ça fait partie de ma mémoire, j’aime savoir que ça existe, les marqueurs de temps.
Force d’admettre que cette année, c’est une année transitoire pleine de changements. Je peux mettre ça sur le dos de la justice réparatrice, sur le dos du fait que je n’étais plus capable de souffrir, peut-être l’exercice, I don’t know, ou c’est que je mature pis que je suis plus capable de me regarder mal aller. Je sais pas, c’est aussi les encouragements, les personnes qui m’entourent et qui m’aident à aller mieux, qui ne cherchent pas à me réparer mais qui sont là pour me montrer que le chemin pour bien aller existait depuis tout ce temps, fallait juste le désherber.
Ça a commencé avec une blague dite sur mon divan, ou je ne sais plus où situer l’interaction. J’ai raconté qu’on m’avait un jour mal lue parce qu’on m’avait donné un cadeau que je trouve tellement out of character. J’ai cette drôle de tendance de croire qu’on me lit facilement même si j’apprends souvent que non. Anyway, il m’a dit d’un ton rieur que peut-être que mon appart donnait cette impression-là, que je fittais avec le cadeau en question et c’est comme si j’ai vu ma maison à vol d’oiseau. Je me suis dit, crime bine, ça pas de bon sens, faut que je fasse le ménage.
Quand j’habitais sur la rue Jacques-Blain, une voisine un peu spéciale calculait le chiffre de chaque maison avec la méthode de 1 +5=6 (pour le 15). Ensuite, elle faisait une analyse de la vibe de la maison et donnait des trucs pour que l’énergie circule mieux.
J’oublie toujours que cette voisine-là existe, comme j’ai oublié tellement de choses de mon enfance et de mon adolescence. J’ai tellement mis l’accent sur les choses que j’ai vécues dans ma maison que j’ai oublié ma vie à l’extérieur, et pourtant, comme maintenant encore, c’est souvent lorsque je suis hors de la maison que je suis à mon plein potentiel de personnalité.
Je trouve ça quand même fou d’avoir oublié la banalité du quotidien d’une adolescence quand même normale, dans une banlieue normale. Mon premier chum du secondaire, notre tentative de faire l’amour échoué, trouver un accompagnateur pour le bal parce qu’il m’a laissée, ce genre de petites choses.
En faisant le ménage, j’ai trouvé tous mes agendas, mes lettres envoyées par toutes mes amies, les carnets de cartes de Saint-Valentin écrites par mes amies, mon album de finissante, des centaines de photos de moments random, de choses ordinaires, une cassette avec une compilation de vidéos transférée et montée par lecteur cassette.
Ça et mes journaux intimes, des listes de choses à l’intérieur, le nom de tous les gars et toutes les filles que j’ai frenché, une liste de choses que je n’aime pas aussi, qui aurait pu être écrite hier, où je parle que je n’aime pas le rejet, qu’on ne m’aime pas, mon père, qu’on préfère ma jumelle à moi, ce genre de banalité que je partage avec tout le monde.
Ce n’est pas spécial.
C’est ordinaire.
C’est normal.
Au yoga, juste avant que je commence mon vrai ménage, je faisais un de mes cours préférés qui travaille la flexibilité. On pratique la split souvent, en fait, il y a une rotation flexibilité du dos, et split de devant et sur le côté. Les cours de split sont mes préférés parce que je sais que j’ai déjà été capable de faire les deux types. Tout ça pour dire que dans ce cours-là, j’ai demandé à la prof de vérifier ma posture, elle m’a dit de replacer mes hanches, de les mettre « carré » et j’ai dit « je ne suis jamais capable de mettre mes hanches à la bonne place ». Elle m’a répondu le plus naturellement du monde « c’est le problème de tout le monde Josiane, ce n’est pas juste toi ».
Quand j’ai rencontré Steeve, il m’a dit qu’il avait une approche holistique de la psychologie. À la place de trouver ça trop bizarre et intense, j’ai dit que je voulais comprendre dans quel sens il disait ça. En gros, sa vision de la psychologie et d’aller mieux, c’est que tout doit se parler, tout est lié ; le milieu de travail, les relations personnelles, les amis, les relations intimes, l’environnement dans lequel on est, les livres qu’on lit, le contenu qu’on consomme, comment on agit, comment on réagit, comment on comprend les choses, comment on planifie nos objectifs, comment on travaille sur soi, tout est lié.
Je l’ai souvent dit, à la deuxième rencontre avec lui, il m’a dit que personne ne m’aimerait assez pour me sauver. Encore à ce jour, j’ai les larmes qui montent en l’écrivant et presque trois ans plus tard, ça me touche toujours autant que j’ai passé la plus grande partie de ma vie à attendre qu’on me sauve quand j’avais la capacité et les outils de faire des choix et d’aller mieux.
Fait que mon ménage a commencé avec les personnes qui essayaient de me réparer et qui se plaçaient comme la solution pour me sauver. Je les ai « quiet quit », j’ai arrêté de leur donner du précieux jus pour leur mission à laquelle je n’avais pas envie de participer. Pis ce n’est pas de l’hyper indépendance non plus, ce n’est pas avoir de la difficulté à prendre l’aide qu’on me donne, c’est vraiment plus que je sais que des fois, j’emprunte un chemin qu’on ne comprend pas de l’extérieur parce que je suis la seule qui possède tout le data nécessaire pour savoir si je fais un bon choix ou non. Pis il n’a rien qui me gosse plus que de voir une personne essayer de coller sa situation personnelle à la mienne quand ça n’a pas rapport.
Je veux être entourée de personnes qui sont heureuses que je réussisse à aller mieux, qui me partagent leur vie et qui écoutent la mienne avec autant d’attention que ce que je leur donne. Je veux des relations réciproques avec de l’aide et des conseils quand c’est ça que j’ai besoin et d’être juste là quand j’ai juste besoin d’être en contact avec des personnes bienveillantes, que j’ai besoin de sortir de chez moi, de souper ailleurs, de me faire cuisiner quelque chose pour être certaine que je mange.
Donc j’ai déplacé des meubles, vidé des armoires, vidé des boîtes de choses, j’ai laissé aller tout ce qui était en rapport avec ma vie d’avant. Les crèmes que je n’utilise plus, les choses qui étaient là et qui faisaient de l’ombre à l’espace. J’avais un buffet donné par mes parents, le dernier vestige de leur présence dans mon salon qui prenait toute la place. Je l’ai vidé, donné sur Marketplace, fallait bien juste qu’il parte, je ne pouvais plus le voir. Il est sorti de ma maison un beau matin et j’ai pu respirer enfin.
Ce n’est pas juste une question de meubles, c’est une question de tout ce qui prend trop de place et de ma responsabilité, ma promesse envers moi-même. Je suis la seule qui peut se sauver et c’est la même chose avec le reste du monde. Je peux être présente quand une personne vit quelque chose de grave mais si la personne aspire tout l’air disponible et ne me permet pas de respirer, j’ai aussi le droit de protéger ma paix intérieure et de la laisser aller.
Même si c’est ma job, parfois, j’ai de la difficulté à mettre des mots sur des choses, j’ai peur que si je les nomme d’une façon ou d’une autre, je change la façon d’exister de la chose que j’ai de la difficulté à nommer. Entre cette façon d’être capable de naviguer dans le flou (pour moi) et cette façon de nommer les limites que j’ai, il y a un monde de mots qui existe expressément pour ça. Les choses que je veux dire, je les dis clairement. Pas toujours ici, mais dans mes conversations, je nomme mes limites, je dis que je peux plus faire ça, que je ne suis pas bien, que je ne peux pas accepter d’être témoin d’une situation que j’ai vécue plus jeune et de ne rien dire. Je n’avais pas la capacité de dire non avant, maintenant oui. Ça fait aussi partie du ménage de faire la différence entre un inconfort et une limite.
Je parlais à Steeve et je disais, j’ai l’impression que j’ai envie de faire mal à cette personne qui fait du mal à cette autre personne, c’est la première fois que ça me fait ça. Il ne limite jamais rien de ce que je fais, il me laisse faire ce que je veux, c’est un observateur pas le maître de ma vie.
Il m’a dit « Josiane c’est mon devoir de psychologue de te dire de te retirer de cette situation-là, je ne te dis jamais rien sur ce que tu fais et tes choix, mais si tu ne veux pas retomber, tu dois te retirer ». J’ai pleuré. J’ai dit je suis tannée que ça prenne de la place dans ma vie, que je fasse des sacrifices de mes journées importantes pour ça, qu’on n’écoute pas les limites que je mets, et il m’a dit que j’avais le droit de partir.
Entre avoir le droit de partir, se préparer à le faire et faire le move, il y a tout de même un paquet d’étapes qui peuvent se mettre dans le chemin. J’ai choisi de partir sans bruit. C’est comme les meubles que j’ai mis sur le bord de la route à donner. Les maigres dollars que j’aurais faits avec eux n’auraient pas compensé pour l’énergie que j’ai dû mettre pour les laisser partir.
Je ne pense pas qu’on peut s’attendre à faire un grand ménage sans devoir laisser aller des choses qui ne nous servent à rien et qu’on garde parce qu’on les a toujours eues ou parce qu’elles font partie du décor. La décoration, ça se change, l’espace ça se fait et ce n’est pas parce que quelque chose ne colle plus à notre vie maintenant qu’il ne pourra pas avoir une place plus tard, peut-être quand ce sera rendu au même niveau de réparation qu’on est rendu.
Steeve me l’avait aussi déjà dit quand j’avais besoin de laisser le petit chum que je m’étais fait en 2022. Parfois, il y a des relations qui fonctionnent justement parce qu’une des deux personnes est à terre et quand elle commence à se relever, la dynamique change et l’autre personne ne se sent plus à la hauteur. Je ne dis pas que c’est ce qui s’est passé, c’était plus complexe que ça, mais disons que quand il m’avait dit ça, j’ai aussi compris que ça pouvait s’appliquer à tous.
Faire le ménage, c’est pas un état statique, la vie y laisse des traces, c’est toujours à recommencer, mais quand la base est faite, même si les objectifs ne sont pas tous accomplis pour une date précise, ben, je sais pas, ça fait déjà ça de fait.
Superbe texte...je retiens cette phrase "il m’a dit que personne ne m’aimerait assez pour me sauver" qui m'a impressionnée par sa profonde vérité...En effet, personne ne va te sauver. Mais par contre il y a des gens qui vont vraiment t'aimer, et cet amour va contribuer à ton propre sauvetage... c'est très précieux!